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impressions fugaces
16 mars 2013

LES MOTS

C'est bientôt l'heure de la sieste pour les petits. BOUM dans l'escalier. Des cris, des pleurs et un petit bonhomme la bouche en sang. Inspirer puis souffler avant de regarder de plus près l'ampleur des dégâts. S'asseoir pour ne pas tomber dans les pommes après avoir vu l'entaille profonde dans l'épaisseur de la lèvre et le sang qui coule sur le menton par l'ouverture en dessous. Je serre mon fils dans mes bras, le cajole, le console, tout en décidant avec son père de la marche à suivre. Tout en moi est action tendue vers un seul but. Je gère comme dit mon ado de fille. Sous les hurlements, notre généraliste du coin de la rue examine la blessure, conseille des points de suture aux URGENCES. Bien que l'appétit ait totalement disparu, on me rappelle qu'il faut prendre le temps de manger quelque chose avant de partir. Le blessé s'endort quelques minutes dans les bras de sa grande sœur.

À 2 ans et demi, on a les mots. On les entend, on les comprend (à peu près), on les dit. "On va à l'hôpital pour qu'un docteur regarde encore le gros bobo." "D'accord." Message reçu. Aux Urgences, on patiente, on lit et relit les deux livres usés de la salle d'attente. Dès qu'un porteur de blouse regarde dans sa bouche, il se laisse faire un temps et demande : "A y est, est fini ?"  L'infirmière d'accueil, l'infirmière de la traumato, l'interne, tout le monde regarde. Dès qu'il s'agit de toucher en revanche, ça hurle et on sait que ça ne va pas être facile. Voilà trois heures que je n'existe plus, j'explique, je distrais, je câline, je chantonne, j'accompagne. Je gère.

Le médecin arrive, un grand noir souriant et chaleureux. On le sent décidé à intervenir (l'interne avait avoué que ça lui semblait trop délicat pour elle). Le petit doit le sentir aussi qui décide qu'il est l'heure de partir. Ses "On rentre maison, maman?" répétés me vrillent le cœur. Il se débat pendant que l'infirmière pose un masque sur son visage mais le gaz hilarant fait peu à peu son effet et je le sens se détendre dans mes bras. Je sors de la pièce en le laissant avec les infirmières et le médecin. Passée la porte, je ne gère plus. Je suis incapable de supporter ses cris et je me sauve dans les couloirs loin de la salle d'intervention. Heureusement, son papa est là qui fera le vigile. 

J'arrive dehors, en larmes, et je réalise que je n'ai même pas donné le doudou aux infirmière. J'avais hâte de m'en aller, j'ai fui, j'ai abandonné mon enfant. J'ai touché ma limite. 

Plus tard, l'infirmière vient me chercher. C'est fini, le petit blessé a 6 points de suture, le papa est rentré pour donner le doudou au bon moment, le médecin et les infirmières ont chanté toutes les chansons de leur répertoire. Dès qu'ils se taisaient, un "encore" impératif s'élevait avant que les cris ne reprennent. Pas rancunier, il est d'accord pour dire "merci" au docteur avant de repartir. Car "c'est fini", on lui a dit et ces mots, il les entend, il les comprend, il peut s'appuyer sur eux. 

Je repense à un texte étudié en cours de français par un de nos ados, l'auteur y racontait comment ses parents l'avaient emmené sans le prévenir pour une opération des végétations. Dans son souvenir, la douleur ressenti n'était rien en comparaison avec la trahison de ses parents et les mensonges du médecin qui ne l'avait pas prévenu non plus.

Notre petit bonhomme a passé un sale quart d'heure mais sa confiance dans les adultes est intacte et j'en suis heureuse. 

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