On ne sait pas si ça la fait rire.
C’est une vieille photo. Au dos, pas d’indication, si ce n’est un code. Je pense qu’elle date des années 50. Les cabines d’un côté, une barrière en béton armé de l’autre. C’est l’été, le séjour à la mer. Elle pose dans son maillot en coton qui, dans l’eau, devient froid et collant. Son bonnet évoque les danseuses aquatiques d’Hollywood. Bonnet de nuages…
Elle attend patiemment que le photographe lui rende sa liberté. Sa bouche fait une petite moue, le regard est de biais. C’est pour ça qu’on ne peut pas savoir si elle rit ou si elle regrette. Si elle regarde le groupe de cousins qui s’éloigne sans elle, elle, retenue par le photographe. Ou plutôt non, je crois qu’elle se réjouit au contraire, de constater du coin de l’œil qu’on l’attend. À moins qu’elle ne vienne d’assister à une scène comique : un gros monsieur qui courait après un ballon a bousculé une fille qui a fait tomber sa glace sur le dos de Mamé assise sur son pliant. Mamé crie, hurle, gesticule pendant que la glace s’insinue lentement à l’intérieur de sa robe. Quelle peau de vache, celle-là, bien fait pour elle ! Pas question de montrer sa joie, ça ne lui vaudrait que des ennuis mais ça la fait bien rire, intérieurement.
Elle en a une chouette d’allure quand même! Et cette bouille. Finalement, je suis certaine qu’elle rigole. Les sourcils froncés, c’est à cause du soleil simplement. Ça ne changera jamais, pour ne pas être à contre-jour, il faut se prendre le soleil dans les yeux. Elle a l’air assez fière aussi. Bien droite, les mains le long des cuisses. Ses grands doigts me font penser à sa fille, une grande asperge s’il en est.
Le long des cabines, il y a un ballon qui rappelle les autres rondeurs de la photo, les genoux et le ventre couleur ballon qu’on devine porté en avant.